samedi 24 octobre 2015

Farniente


      HE cat went here and there
      And the moon spun round like a top,
      And the nearest kin of the moon, 
      The creeping cat, looked up.

Black Minnaloushe stared at the moon,
For, wander and wail as he would,
The pure cold light in the sky
Troubled his animal blood.

Minnaloushe runs in the grass
Lifting his delicate feet.
Do you dance, Minnaloushe, do you dance?
When two close kindred meet,
What better than call a dance?
Maybe the moon may learn,
Tired of that courtly fashion,
A new dance turn.
Minnaloushe creeps through the grass
From moonlit place to place,
The sacred moon overhead
Has taken a new phase.

Does Minnaloushe know that his pupils
Will pass from change to change,
And that from round to crescent,
From crescent to round they range?

Minnaloushe creeps through the grass
Alone, important and wise,
And lifts to the changing moon
His changing eyes. 
 
W. B. Yeats (1919)



jeudi 22 octobre 2015

De la grenade comme mystère


Deux grenades posées près d'une coupe de fruits, amphore et pot. Fresque de la maison de Julia Felix, Pompéi, 1er siècle avant J.C. - 79 après J.C.
Quel fruit a une histoire aussi ancienne ? Ses graines brillantes encloses dans la carapace grenue, ses graines translucides comme des pierreries cachées sous l'opacité de la peau, tout un corps enclos dans la pourpre et prêt à éclater dans sa chute — elle est sur les tables d'offrandes égyptiennes, sur la table des banquets grecs, sur les murs de Pompéi et puis, après une longue éclipse, elle revient en gloire dans les natures mortes de l'âge baroque, de l'Espagne aux Flandres, de l'Allemagne à l'Italie.

Une coupe de fruits, une grenade au centre. Fresque de la villa Oplontis, Torre Annunziata.
C'est que la grenade s'inscrit dans tout un réseau de références et de discours surchargés de sens : elle tient autant dans l'imaginaire occidental de la représentation de la fertilité et de l'abondance, de la féminité et de la promesse d'enfantement que de l'emprise de la mort et de son empire sur les hommes.

Table et vases d'offrandes funéraires, fresque provenant d'une tombe de Paestum. IVe siècle avant J.C.
On a dit que la grenade était née du sang répandu de Tammuz, le dieu babylonien de la fertilité qui passe six mois de l'année aux enfers avant de remonter sur Terre au printemps pour faire revivre la nature. Ailleurs, le sang est celui d'Adonis. Perséphone mange la grenade comme l'avait fait avant elle Ereshkigal, la "dame du grand pays", la déesse des Enfers, alors qu'elle se saisit de Tammuz.


Alors que Déméter, dans son désespoir, affame la Terre et les hommes, Zeus se voit contraint de trouver un accord avec Hadès. Celui-ci s'engage à laisser repartir Perséphone à condition qu'elle n'ait pas goûté à la nourriture des morts, c'est-à-dire à la grenade, ce qu'elle s'empressa de faire — quelques graines de grenade qui allaient décider du temps qui lui serait accordé. Les versions du mythe divergent, trois graines, six graines, sept — et trois mois hors des Enfers, ou six mois, ou sept, pour faire revivre la nature et pousser les blés.

Le rapt de Perséphone par Hadès, fresque de la tombe dite "de Perséphone", œuvre de Philoxène d'Érétrie ou de Nicomaque, Æges près de Vergina, 3ème quart du IVe siècle avant J.C.
Une Perséphone archaïque, la grenade à la main.
Le rouge de la grenade, le sang de la nourriture des morts, c'est celui qui va ramener pour un temps à la vie la Perséphone exsangue et stérile qu'Hadès retient sous terre.
Manger la grenade permettrait de se réinsérer dans le cycle du temps et le monde des vivants. Ainsi la grenade, personnification de la vie mais aussi masque de la capsule narcotique du pavot, dit les passages et les épreuves qui attendent les hommes face à la mort.






Perséphone à la grenade


La grenade entre les mains de la Koré (Perséphone), Athènes, musée de l'Acropole.



















Héra, elle aussi anciennement associée à la mort, était parfois représentée une grenade à la main.
Hadès et Perséphone, sans grenade ni pavot

















































Quelques siècles plus tard, ce sont les Pères de l'Église qui vont se saisir du symbole de la grenade. La perfection de son manteau pourpre englobant un peuple de graines va devenir la figure de l'Église elle-même. Par cette forme parfaite, par l'amas de grains blottis dans la protection de l'enveloppe, la grenade devient aussi l'une des figurations de l'âme associée à l'harmonie divine.

Filippino Lippi, Vierge à l'enfant, vers 1485, Metropolitan Museum, New York

Lorenzo di Credi, Vierge à la grenade dite "madone Dreyfus", 1470-1472, National Gallery of Arts, Washington.
Matthias Grünewald, Madone de Stuppach, 1519.
Botticelli, Vierge à la grenade, 1480

Botticelli, Vierge à la grenade, 1487, Offices, Florence


Francesco di Giorgio Martini (1439-1502) et Baccio Pontelli (1450-1495), marqueterie. Détail du Studiolo de Federico de Montefeltro au Palais ducal d'Urbino. 2ème moitié du XVe siècle. Dans la corbeille, outre les noisettes que vole l'écureuil, deux grenades éclatées montrent leurs multiples grains.
Il faut dire que la difficulté de la représentation de la grenade ouverte va en faire pour les artistes un exercice de virtuosité, de savoir-faire dans le rendu des apparences. Ainsi la poursuite de l'exercice en soi prit une valeur d'élévation morale.
Ce sentiment, associé à la symbolique mortuaire du fruit, va relier les natures mortes à la grenade tant aux tableaux dits "des Cinq sens" qu'aux Vanités dont les crânes, tant par leur forme que par la vie et la pensée désormais enfuies qu'ils évoquent, résonnent comme en écho d'une grenade desséchée et désormais vide de ses grains.

Antonio de Pereda (1611-1678), Vanité, musée des Beaux-arts de Saragosse.
Giovanna Garzoni (1600-1670), nature morte avec grenade ouverte, Florence, Palazzo Pitti.

De quelle morale s'agit-il ? Ce sont constructions savantes que ces tableaux des Cinq sens. Natures mortes ou vies arrêtées, suspendues, still life, on y voit entre les paniers et les vases, entre les miroirs et les objets d'arts, fruits, fleurs, instruments de musique et partitions ouvertes, gibier et dépouilles — associant les sens au temps qui passe, à la finitude de l'existence, à la vanité de la vie. La grenade y étale ses entrailles ouvertes de fruit mûr. Posée sous les corps sans vie, sous le lard gras, face à son reflet dans le miroir, tournant le dos à la bourse qui répand ses pièces d'argent, elle évoque autant l'inquiétante Héra que le jardin des délices et l'attente du printemps.

Alejandro de Loarte (actif entre 1590 et 1626), Nature morte , 1623, Madrid.

Jacques Linard (1600-1645),  Les cinq sens et les quatre éléments.
Les cinq sens rappellent les cinq blessures du Christ tout comme la beauté et la perfection des fleurs renvoient une image du paradis, elles évoquent la présence de Dieu visible dans l'œuvre de la Création. Mais on peut aussi voir dans ces tableaux des Cinq sens le travestissement des choses devant le destin inéluctable, devant le désastre annoncé : le corps du vase qui retient ces fleurs coupées, cette porcelaine fragile vouée à la destruction, ne leur offre qu'une survie illusoire ; les fruits qui mûrissent et éclatent, les chairs qui n'échappent à la putréfaction que parce qu'elles seront dévorées, les plaisirs des sens qui n'ont qu'un temps, tout parle ici de la mort. La grenade elle-même, éclatée, expose ses déchirures en écho des cinq plaies du Christ. Dans l'illusion du miroir, elle s'observe mourir.

Jacques Linard (1600-1645),  Les cinq sens et les quatre éléments, 1627, musée du Louvre.
Juan van der Hamen y Leon (1596-1631), Nature morte, 1626, Houston.
Abraham Bruegel (vers 1631-vers 1680), Nature morte, Campione d'Italia.
Cristobal Ramirez de Arellano (actif 1630-1640), Nature morte, Dumbarton Oaks, Washington.
Le temps a passé, les tensions de l'âge baroque se sont apaisées, et la grenade finit par acquérir la tendre patience des objets sages, elle s'est débarrassée des habits encombrants du mythe, elle vient poser pour Chardin entre la chocolatière et les grappes de raisins.

Jean-Siméon Chardin, Nature morte avec raisins et grenades, 1763, musée du Louvre
Elle a passé les siècles.  
Elle pose à son tour pour Fantin-Latour, en pleine lumière, éclatée sur la nappe entre le couteau et le citron.

Théodore Fantin-Latour, Primevères en pot, poires et grenades, 1866, musée Kröller-Müller, Otterlo
Et puis elle attend, la grenade. Les mythes finissent toujours par reprendre vie, pense-t-elle.

Dante Gabriele Rossetti, Proserpine, 1874, Tate Britain.

mercredi 21 octobre 2015

De quelques manuscrits judéo-persans

King Ahashverosh entouré de vierges, Shahin, Ardashir-nameh, Perse, seconde moitié du XVIIe siècle (Berlin, Staatbibliothek Preussischer Kulturbesitz).
La communauté juive est arrivée en Perse en deux phases. La première remonte vers l'an 700 avant notre ère, au temps de l'hégémonie assyrienne, quand le roi Sargon II déplaça des populations captives vers la Médie, au nord et à l'ouest de l'Iran actuel ; la seconde deux siècles plus tard, quand le roi Cyrus le Grand les libéra. Une large part de cette diaspora resta dans la région alors qu'ils étaient libres de partir et de retourner à Jérusalem, et ils s'installèrent un peu partout dans l'empire perse pour plus de deux millénaires. 

L'un des plus anciens documents connus qui nous renseigne sur cette communauté est une lettre de commerce judéo-perse que Aurel Stein découvrit en 1901 à Dandan-Uiliq, un carrefour du commerce sur la route de la soie dans le Turkestan chinois : la lettre est écrite en persan (ou plutôt dans un dialecte judéo-persan) mais avec des lettres hébraïques. Cette pratique fut en usage en Iran, en Afghanistan et en Asie centrale pour plus de mille ans et fut l'un des moyens en usage dans cette diaspora pour préserver son identité juive et son patrimoine intellectuel.








Parmi les plus importants manuscrits médiévaux judéo-persans, on remarque une version de 1319 du Torat Mosheh qui est la plus ancienne version judéo-persane du Pentateuque. Cette traduction en judéo-persan de la Torah fut également le premier texte en cette langue a être imprimé, dans une bible polyglotte publiée à Constantinople en 1546.

Le colophon de la Torah Mosheh, Iran, 1319 (British Library)
Torat Adonai,  Eliezer ben Gershom Soncino, Constantinople, 1546. Début de la Genèse avec deux gravures sur bois de la lettre hébraïque "bet".

Détail du Torat Adonai de Eliezer ben Gershom Soncino. La colonne de droite contient la traduction en judéo-persan écrite avec des caractères hébraïques.
Page de titre ornementée du Torat Adonai, Eliezer ben Gershom Soncino, Constantinople, 1546 (British Library)
Mais nous sommes loin des magnifiques manuscrits enluminés des communautés juives de l'Europe médiévale : ces premiers manuscrits médiévaux judéo-persans ne comportent que du texte et il faudra attendre l'ère safavide pour trouver des illustrations dans l’un de ces manuscrits — l'aniconisme est de fait une caractéristique majeure des manuscrits des communautés juives d'Orient. Un livre récemment publié, Skies of parchment, seas of ink, édité par Marc Michael Epstein aux Presses Universitaires de Princeton rassemble une fabuleuse collection de manuscrits et je voudrais rendre compte ici du chapitre qui concerne les arts et la littérature des communautés judéo-persanes entre le XVe et les XIXe siècles.

Bien entendu, on peut penser à ces magnifiques manuscrits arméniens à la cathédrale de Vank à Ispahan, ces dizaines de manuscrits enluminés avec de superbes lettrines et des peintures couvrant des pages entières — oubliez-les : nous ne connaissons que douze ou treize manuscrits illustrés judéo-persans dont aucun n'est antérieur au XVIIe siècle.

Douze ou treize manuscrits — cent soixante-dix-neuf miniatures.


Bien sûr, la communauté arménienne à Ispahan était alors une toute jeune communauté, tout juste arrivée d'Arménie après que Shah Abbas eut ravagé le pays, c'était une communauté riche de traditions. Au contraire, la communauté juive était avant tout une ancienne communauté persane et son contact prolongé avec cette culture avait produit une acculturation profonde, en particulier pour la littérature et les arts appliqués. De plus, la période de  production de ces manuscrits judéo-persans coïncide avec une période très difficile de persécutions antisémites, une période où les communautés juives de Perse n'étaient pas très à l'aise financièrement : un grand nombre de manifestations contre les juifs se déroulèrent durant le règne de Shah Abbas II. Néanmoins, un certains nombre de musulmans, et parmi eux des personnalités de haut rang, s'opposèrent aux ordres visant à forcer les juifs à la conversion (d'ailleurs, à la même époque, les Sufis et d'autres minorités religieuses comme les Arméniens ou les Zoroastriens furent également les victimes de l'intolérance religieuse). De toute manière, la plus grand part des communautés juive de Perse semblent avoir cédé et s'être converties en 1656 et les juifs devinrent ainsi anusim (“converts forcés”) pour environ sept ans, se pliant extérieurement au culte de l'islam chiite tout en pratiquant secrètement le judaïsme — un comportement qui, ironiquement, n'est pas sans rappeler la taqiya (dissimulation) pratiquée par les chiites pendant des siècles (tous ces événements sont retracés dans le Ketab-e anusi de Babaʾi ben Lotf, un juif témoin de ces conversions à Kashan).

Des anges déracinent un arbre dans le jardin d’Ahashverosh, Shahin, Ardashir-nameh, Perse, seconde moitié du XVIIe siècle (Berlin, Staatbibliothek Preussischer Kulturbesitz). Voici une occurrence où les références tant talmudiques que midrashiques sont utilisées pour agrémenter une histoire : l’illustration dérive de Esther 7:7. Dans le texte biblique, Esther vient juste d’exposer le complot d’Haman. Ahashverosh en colère se lève et « part dans le jardin du palais ». Le Talmud suggère que (puisqu’il n’est pas dit que sa colère retombe) on puisse supposer qu’il « revienne tout autant furieux » — mais pourquoi ? Parce que des anges travestis en hommes étaient en train de déraciner les arbres dans le jardin royal et cela sur l’ordre même d’Haman.




Mordechai porté en triomphe par Haman, feuille de papier isolée, provenant peut-être d’un manuscrit du Ardashir-nameh. Perse, XIXe siècle.
Joshua à la conquête de Jéricho. Imrani, Fath-nameh, Perse, fin du XVIIe siècle (British Library)
Joshua traverse le Jourdain avec l’Arche d’Alliance. Imrani, Fath-nameh, Perse, fin du XVIIe siècle (British Library).
 

L’exécution des dix fils d’Haman, leur corps pendus à un long gibet tandis que le roi et ses hommes les percent de flèches. Shahin, Ardashir-nameh, Perse, seconde moitié du XVIIe siècle (Berlin, Staatbibliothek Preussischer Kulturbesitz).




Le massacre des collaborateurs d’Haman : des hommes chargés de liens sont décapités par des Juifs en armes. Shahin, Ardashir-nameh, Perse, seconde moitié du XVIIe siècle (Berlin, Staatbibliothek Preussischer Kulturbesitz).
Même si ces manuscrits sont remarquables, ils sont bien loin de la perfection atteinte par la plupart des manuscrits persans à peintures : ils ne peuvent se comparer aux miniatures réalisées dans les ateliers royaux comme ceux ci-dessous et ils apparaissent plutôt comme de modestes versions populaires et provinciales de thèmes classiques — des montagnes et des nuages, des cavaliers, des anges aux ailes dressées. Sur ce modèle, les Juifs de Perse commencèrent à commander des manuscrits qui raconteraient leurs histoires, avec leurs héros, dans un style qui reflète le style et la manière des manuscrits de cour safavides.



Niżāmī, Maḫzan al-asrār, 1538 (BnF).

La communauté judéo-persane n’avait jamais été très productive en matière de pensée ou de discussion de la loi, se pliant aux traditions édictées par les rabbins du haut Moyen Âge. Aussi ces manuscrits à peinture illustrent plutôt des translittérations en hébreu de romans persans n’évoquant que de loin les traditions bibliques — c’est le cas du Yusuf et Zulayḵā (Joseph et la femme de Putiphar). D’autres ne sont même que de simples feuillets de poésie. La plupart sont des œuvres profanes, souvent de simples translittérations de récits épiques appartenant aux communautés persanes et remodelées à leur guise par des auteurs juifs qui conservaient néanmoins les épisodes les plus populaires. Le meilleur exemple en est donné par les manuscrits illustrant l’œuvre du poète juif de Shiraz Shahin (XIVe siècle), le Musa-nameh (histoire de Moïse), qui imitaient la tradition iconographique associée au Shah-nameh de Ferdowsi. Ces manuscrits reliaient ainsi Moïse au panthéon des héros persans et le texte comme les illustrations le montrent triomphant d’épreuves telles qu’un combat contre un lion, puis contre un loup et ensuite contre un dragon, épreuves qui le destinaient à se montrer digne de la rencontre avec le Buisson ardent.

Il semble évident que ces manuscrits furent composés et illustrés pour les membres les plus éminents de communautés juives assez larges, comme celles d’Ispahan ou de Kashan. En revanche, il n’est même pas possible de prouver que ces illustrations furent réalisées par des Juifs, les manuscrits n’étant pas signés. Il ne semble pas pour autant qu’il y ait eu une quelconque prohibition sur cette activité mais néanmoins, certains des peintres pourraient être plutôt musulmans comme le suggère la représentation de Moïse, le visage systématiquement couvert d’un voile et entouré d’une large flamme, sur la version du Musa-nameh copiée à Tabriz en 1686 (sur le voile de Moïse, une inscription en écriture persane indique « Son Excellence Moïse » —  janab-e hazrat-e Musa).

Moïse, un voile blanc sur le visage, cerné d’un halo de flammes, observe Pinhas alors que celui-ci empale le couple enlacé de Cosbi et Zimri  (Nombres 25: 6-8), une scène particulièrement inhabituelle. Le Musa-nameh met l’accent sur le récit de batailles entre le peuple d’Israël et ses ennemis et Moïse y apparaît de manière à souligner le parallèle implicite avec le prophète Muhammad.

La traversée de la mer Rouge, Musa-nameh
Le châtiment de Kora, Musa-nameh
Séphora circoncit Eliezer, Musa-nameh
Moïse et l’ange de la mort, Musa-nameh
Mais il est possible qu’un artiste juif, voulant être en mesure de montrer son travail à des musulmans, se soit plié à des modèles iconographiques qui respectent les sensibilités musulmanes. En fait, quelques discordances entre certaines miniatures et le texte qu’elles étaient censées illustrer semblent indiquer que les peintres, qu’ils soient juifs ou musulmans, étaient incapables pour leur part de lire les textes judéo-persans et devaient s’en remettre à leur commanditaire. Enfin, si les peintres étaient musulmans, ce serait un exemple de coopération entre les communautés : imaginons, les Juifs écrivent le textes et les musulmans peignent, chacun suivant les instructions de leur mécène.

Certains de ces manuscrits sont assez polémiques car ils tendent à comparer les héros juifs aux personnages sacrés de l’islam — et à exalter les premiers. L’islam, en intégrant des parts de la tradition juive dans le Coran, avait intégré ces personnages à sa propre tradition. De ce fait, la représentation de Moïse avec les attribut de Muhammad n’était pas sans danger — si toutefois les musulmans avaient été en mesure de lire le texte judéo-persan. La glorification récurrente des héros juifs leur renvoyait sans doute l’image de puissance qui leur était nécessaire en ces temps de persécutions. Nous pouvons y voir la représentation nostalgique de temps meilleurs, un appel à la mansuétude du Shah afin qu’il fasse revivre les époques de tolérance passées, un soutien aux communautés juives contraintes à la conversion et le souhait naturel qu’à nouveau les Juifs en arme, « fils de Jacob », prennent leur revanche sur les « maudits descendants d’Haman ».


L’ange Gabriel (sur la page de droite) apparaît à Joseph, Yusuf, pour lui donner la permission d’épouser Zulaikha. Mashad, 1853.
Nur ad-Din ‘Abd ar-Rahman al-Jami, Haft Awrang [sept Trônes], un manuscrit Judéo-Persan copié en 1853 par Eliyahu ben Nissan ben Eliyah, de Mashad : Yusuf fuit Zulaikha.
Yusuf en prison
Yusuf et Zulaikha se marrient
Yusuk et Zulaikha
Josuah se bat contre le géant Sihon, Musa-nameh, Perse, fin du XIXe siècle.