dimanche 19 janvier 2020

Les sœurs

Est-ce une erreur ou un fait exprès, cette superposition d'images ?


Combien de petites filles sur cette image ? Combien de mains, combien d'yeux ouverts, combien d'yeux fermés ? Les pieds sur un tapis à pois et comme une balle de nacre prête à rouler dans la rue, elle nous regarde lèvres mordues et menton qui tremble.  Celle-ci aussi nous regarde et celle-la aussi, mais l'ainée a les yeux clos de celle qui sait qu'elle va s'effacer.

dimanche 12 janvier 2020

Le passé âpre


Âpre, c'est le seul mot qui me soit venu. Le passé âpre.
Ce passé âpre qui nous accompagne.

Ce jour là, je me trouvais dans un étrange sous-sol berlinois à fixer une vitrine. Derrière la vitre, des objets retrouvés dans les décombres d’un bombardement. Autour de moi, la pénombre de l’abri, le béton nu, les chiffres inscrits au pochoir sur le mur.  Derrière la vitre, ce qui reste d’une vie après les bombes — une chaussure, des gants, une paire de lunettes, les fragments d’une veste, un carnet. Et sur l’étagère de verre, comme le squelette translucide d’un poisson, un peigne. Un tout petit peigne, presque un peigne d’enfant. Un tout petit objet poignant.
Le temps que je reprenne mon souffle, le peigne devant moi si fragile, seule trace d’une vie brutalement effacée, j’ai entendu la voix à mes côtés expliquer que, dans cet abri, seuls les SS pouvaient trouver refuge, et j’ai fermé les yeux.
C’est vrai, les SS aussi avaient des peignes.

Comme les peignes, bien des photos ont longtemps été gardées à l’abri dans leur emballage de papier de soie. Et puis, avec le temps, le papier de soie disparaît et, avec le papier, la mémoire.


Un mois plus tôt, sur un marché aux puces quelque part en Dalmatie, j’avais trouvé cette photo d’un tout petit garçon debout sur une banquette aux côtés d’un superbe jouet, un autobus à impériale. Un petit garçon né un peu avant le siècle sans doute, non seulement charmant avec les rubans de son béret et son polo blanc, son visage sans sourire tourné vers sa maman debout à côté du photographe, sa main posée légèrement sur un jouet prêté peut-être juste le temps de la séance de pose, mais encore attendrissant par sa fragilité, l’éloignement dans le temps, et la certitude que cet enfant n’était plus aujourd’hui du monde des vivants.