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Antoin Sevruguin, Marchand de glace sur Meydan-e Mashq à Téhéran, 1880-1900. |
Est-ce seulement un jour gris ou la lumière est-elle déjà crépusculaire ?
Des hommes debout, d'autres assis sur leurs talons, trois ou quatre enfants, des petites filles peut-être — non, des petites filles sans doute. Un espace vide. Des baraquements dans le lointain, des arbres peut-être, un sentiment de désolation. Et chacun avec sa petite coupe de glace à la main — j'ai dans la bouche le souvenir de cette glace à la rose ou au safran, le
falludeh dont les cristaux se mèlent à la crème glacée.
Mais nous sommes si loin, plus d'un siècle nous sépare de cette image…
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Antoin Sevruguin, Autoportrait à Naqsh-e Rostam, devant le bas-relief montrant le triomphe du roi sassanide Shapur I sur l'empereur romain Valérien (1898-1902). |
Antoin Sevruguin était un photographe arméno–iranien né à Téhéran à la fin des années1830 ou dans les années 1840 et mort dans cette même ville en 1933. Son père, d'origine arménienne, était orientaliste et fut peut-être diplomate au service de la Russie — mais la famille se retrouva dans un dénuement absolue à sa mort, la Russie refusant de verser une pension à la veuve, Achin Khanoum. Celle-ci étant Géorgienne, elle choisit de retourner en Géorgie, d'abord à Tiflis puis dans sa ville natale, Akoulis où Antoin et ses frères étudièrent. A Tiflis, le jeune Antoin étudia ensuite la peinture et bientôt la photographie : il rencontra alors son contemporain, le photographe Dmitri I. Ermakov (1845-1916).
A partir de 1870, à la suite d'Ermakov, Sevruguin voyagea régulièrement en Perse en photographiant systématiquement les habitants, l'architecture ou les paysages. Avec deux de ses frères, Kolia
and Emmanuel, installés alors à Bakou, il traversa l'Azerbaijan, le Kurdistan et le Luristan, pour aboutir à Téhéran où il s'installa définitivement sans doute au début des années 1880.
Est-il resté sujet de la Russie ? Est-il devenu Iranien ? Nous savons qu'il parlait couramment le persan et qu'il connaissait par cœur de nombreux poèmes — sa culture était certainement persane donc. Les cartes photographiques de son studio de Téhéran portent au dos son nom en français, en russe et en persan, avec le titre de photographe "russe", le tout entouré de symboles et de médailles iraniens. Plus tard, il ajoutera à ces inscriptions les mots "
parvarda-ye Irān" (“nourri par l'Iran”) — comme une déclaration d'amour à son pays d'adoption.
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Antoin Sevruguin, Derrière le bazar à Ispahan, 1880-1900. |
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Antoin Sevruguin, Au bazar de Téhéran, préparation de kebab au foie, 1880-1900. |
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Dans une rue de Téhéran, trois hommes regardent des images dans un dispositif appelé sharh-e farang : cette boîte optique en métal, souvent en forme de château, permettait de regarder une succession d'images que le manipulateur déplaçait en tirant sur des fils tandis que le conteur qui l'accompagnait disait ou chantait son texte (par exemple un conte des Mille et Unes Nuits). Le sharh-e farang fut pendant des siècles (et jusque vers 1960) une animation caractéristique des marchés de villages au Moyen Orient et jusqu'en Inde.
Plaque réalisée par Antoin Sevruguin vers1900.
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Antoin Sevruguin, Clercs rassemblés à l'entrée d'un mausolée (Najaf ? Bagdad ?), 1880 ? |
Il photographie la diversité des populations, les communautés urbaines, les villageois, les nomades.
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Antoin Sevruguin, Hakim-Nur-Mahmud, un médecin juif, et sa famille, vers 1880 |
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Antoin Sevrugin, Petite fille de la tribu Shahsavan en Iran occidental, fin XIXe. |
Il assiste aux célébrations religieuses, aux festivités traditionnelles, aux mouvements de foule.
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Antoin Sevruguin, Ta'ziyah au Takkiya Dawlat à Téhéran : ce dispositif théâtral commémore le martyre de Hussein, le fils d'Ali et de Fatima et petit-fils du Prophète en 680. |
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Antoin Sevruguin, Tekiyeh à Téhéran : rassemblement à la mémoire du martyre de Hussein. 1890-1900. |
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Antoin Sevruguin, Une école en Perse, 1880-1900 |
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Antoin Sevruguin, Châtiment corporel dans une école (le falak, coups de verges sur la plante des pieds) , 1880-1900. |
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Antoin Sevruguin, Jeunes filles occupées à tisser un tapis, vers 1890 |
La réputation de Sevruguin comme portraitiste photographe lui attira
bientôt
l'attention de Nasseddin Shah (1848-1896), qui en fit l'un des
photographes officiels de la cour — lui ouvrant les portes de
l'aristocratie persane comme du monde des grands négociants. Ainsi, il
mena en parallèle une double activité (comme le faisaient à Tiflis
Roinashvili ou Ermakov) : photographe de studio d'une part et voyageur
qui documentait d'autre part les sociétés de géographie. Dans ce cadre,
il se déplaçait avec de nombreux assistants (et sans négliger quelques
soldats) pour rejoindre les zones tribales dont il fréquentait les
chefs.
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Mais certaines photos de Sevruguin participent d'un autre discours. Il s'agit pour lui de répondre à la demande occidentale, russe par exemple, et de fournir des images qui répondent au fantasme oriental de l'Orient : c'est le cas de cette photo de "harem", entièrement construite en studio, sans doute avec une prostituée. |
Sevruguin se rendit régulièrement en Europe afin de se tenir au fait des dernières innovations dans le domaine de la photographie. Il expose également, gagnant deux médailles lors d'expositions internationales (Bruxelles en 1897 et Paris en 1900).
Sa notoriété atteignit son comble quand Nasseredin Shah lui conféra le titre de "khan", ce qui lui permit de devenir Antovan Ḵan en Perse.
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Antoin Sevruguin, Nasseredin Shah se faisant teindre les moustaches, 1880-1890 |
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Antoin Sevruguin, Au palais du Golestan, vers 1890 |
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Antoin Sevruguin, Nasseredin Shah, vers 1890 |
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Antoin Sevruguin, Une réception au palais du Golestan, vers 1880 |
Sevruguin suivit Nasseredine Shah jusqu'à la fin et, après l'assassinat du monarque, réalisa l'une des premières "images d'actualité", si ce n'est la première, en photographiant à distance l'exécution du meurtrier tout en se mettant en scène au premier plan de la photo.
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Antoin Sevruguin, L'exécution par pendaison du révolutionnaire Mirza Reza Kermani, l'assassin de Nasseredin Shah, un cliché exceptionnel dans la production de Sevrugin puisqu'il relève de la photo d'actualité, à distance, dans le mouvement de la foule — et qu'on y "voit" au premier plan le photographe, son assistant et le lourd boîtier de l'appareil photographique (août 1896). |
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Mirza Reza Kermani, l'assassin du Shah, quelques heures avant son exécution. Photo prise par Antoin Sevruguin. |
Son studio était installé sur la rue Ala-al-Dawla (devenue par la suite l'avenue Ferdowsi). Des années plus tard, lors des émeutes qui marquèrent le règne de Moḥammad Ali Shah
(1907-1909) et qui provoquèrent le bombardement du parlement en 1908, le studio fut dévasté et la famille de Sevruguin dut se réfugier dans l'une des amabassades occidentales.
Sur les sept mille plaques qu'il avait réalisées, un petit millier survécut au désastre. Après la chute des Qadjars, ces plaques furent confisquées par Reza Shah
Pahlavi (r. 1925-41) qui trouvaient que ces photos montraient un Iran "arriéré" bien éloigné du pays moderne qu'il voulait développer. La fille de Sevrugin parvint à récupérer une partie de ces plaques bien après la mort de Sevruguin mais seules 696 ont été conservées et sont aujourd'hui à la Smithsonian Institution (Freer Gallery
of Art et Arthur M. Sackler Archives).