Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas te perdre.
vendredi 30 octobre 2015
samedi 24 octobre 2015
Farniente
HE cat went here and there
- And the moon spun round like a top,
- And the nearest kin of the moon,
- The creeping cat, looked up.
- Black Minnaloushe stared at the moon,
- For, wander and wail as he would,
- The pure cold light in the sky
- Troubled his animal blood.
- Minnaloushe runs in the grass
- Lifting his delicate feet.
- Do you dance, Minnaloushe, do you dance?
- When two close kindred meet,
- What better than call a dance?
- Maybe the moon may learn,
- Tired of that courtly fashion,
- A new dance turn.
- Minnaloushe creeps through the grass
- From moonlit place to place,
- The sacred moon overhead
- Has taken a new phase.
- Does Minnaloushe know that his pupils
- Will pass from change to change,
- And that from round to crescent,
- From crescent to round they range?
- Minnaloushe creeps through the grass
- Alone, important and wise,
- And lifts to the changing moon
- His changing eyes.
- W. B. Yeats (1919)
jeudi 22 octobre 2015
De la grenade comme mystère
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| Deux grenades posées près d'une coupe de fruits, amphore et pot. Fresque de la maison de Julia Felix, Pompéi, 1er siècle avant J.C. - 79 après J.C. |
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| Une coupe de fruits, une grenade au centre. Fresque de la villa Oplontis, Torre Annunziata. |
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| Table et vases d'offrandes funéraires, fresque provenant d'une tombe de Paestum. IVe siècle avant J.C. |
Alors que Déméter, dans son désespoir, affame la Terre et les hommes, Zeus se voit contraint de trouver un accord avec Hadès. Celui-ci s'engage à laisser repartir Perséphone à condition qu'elle n'ait pas goûté à la nourriture des morts, c'est-à-dire à la grenade, ce qu'elle s'empressa de faire — quelques graines de grenade qui allaient décider du temps qui lui serait accordé. Les versions du mythe divergent, trois graines, six graines, sept — et trois mois hors des Enfers, ou six mois, ou sept, pour faire revivre la nature et pousser les blés.
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| Le rapt de Perséphone par Hadès, fresque de la tombe dite "de Perséphone", œuvre de Philoxène d'Érétrie ou de Nicomaque, Æges près de Vergina, 3ème quart du IVe siècle avant J.C. |
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| Une Perséphone archaïque, la grenade à la main. |
Le rouge de la grenade, le sang de la nourriture des morts, c'est celui qui va ramener pour un temps à la vie la Perséphone exsangue et stérile qu'Hadès retient sous terre.Manger la grenade permettrait de se réinsérer dans le cycle du temps et le monde des vivants. Ainsi la grenade, personnification de la vie mais aussi masque de la capsule narcotique du pavot, dit les passages et les épreuves qui attendent les hommes face à la mort.
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| Perséphone à la grenade |
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| La grenade entre les mains de la Koré (Perséphone), Athènes, musée de l'Acropole. |
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| Héra, elle aussi anciennement associée à la mort, était parfois représentée une grenade à la main. |
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| Hadès et Perséphone, sans grenade ni pavot |
Quelques siècles plus tard, ce sont les Pères de l'Église qui vont se saisir du symbole de la grenade. La perfection de son manteau pourpre englobant un peuple de graines va devenir la figure de l'Église elle-même. Par cette forme parfaite, par l'amas de grains blottis dans la protection de l'enveloppe, la grenade devient aussi l'une des figurations de l'âme associée à l'harmonie divine.
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| Filippino Lippi, Vierge à l'enfant, vers 1485, Metropolitan Museum, New York |
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| Lorenzo di Credi, Vierge à la grenade dite "madone Dreyfus", 1470-1472, National Gallery of Arts, Washington. |
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| Matthias Grünewald, Madone de Stuppach, 1519. |
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| Botticelli, Vierge à la grenade, 1480 |
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| Botticelli, Vierge à la grenade, 1487, Offices, Florence |
Ce sentiment, associé à la symbolique mortuaire du fruit, va relier les natures mortes à la grenade tant aux tableaux dits "des Cinq sens" qu'aux Vanités dont les crânes, tant par leur forme que par la vie et la pensée désormais enfuies qu'ils évoquent, résonnent comme en écho d'une grenade desséchée et désormais vide de ses grains.
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| Antonio de Pereda (1611-1678), Vanité, musée des Beaux-arts de Saragosse. |
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| Giovanna Garzoni (1600-1670), nature morte avec grenade ouverte, Florence, Palazzo Pitti. |
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| Alejandro de Loarte (actif entre 1590 et 1626), Nature morte , 1623, Madrid. |
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| Jacques Linard (1600-1645), Les cinq sens et les quatre éléments. |
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| Jacques Linard (1600-1645), Les cinq sens et les quatre éléments, 1627, musée du Louvre. |
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| Juan van der Hamen y Leon (1596-1631), Nature morte, 1626, Houston. |
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| Abraham Bruegel (vers 1631-vers 1680), Nature morte, Campione d'Italia. |
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| Cristobal Ramirez de Arellano (actif 1630-1640), Nature morte, Dumbarton Oaks, Washington. |
| Jean-Siméon Chardin, Nature morte avec raisins et grenades, 1763, musée du Louvre |
Elle a passé les siècles.
Elle pose à son tour pour Fantin-Latour, en pleine lumière, éclatée sur la nappe entre le couteau et le citron.
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| Théodore Fantin-Latour, Primevères en pot, poires et grenades, 1866, musée Kröller-Müller, Otterlo |
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| Dante Gabriele Rossetti, Proserpine, 1874, Tate Britain. |
mercredi 21 octobre 2015
De quelques manuscrits judéo-persans
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| King Ahashverosh entouré de vierges, Shahin, Ardashir-nameh, Perse, seconde moitié du XVIIe siècle (Berlin, Staatbibliothek Preussischer Kulturbesitz). |
La communauté juive est arrivée en Perse en deux phases. La
première remonte vers l'an 700 avant notre ère, au temps de l'hégémonie
assyrienne, quand le roi Sargon II déplaça des populations captives vers la
Médie, au nord et à l'ouest de l'Iran actuel ; la seconde deux siècles plus
tard, quand le roi Cyrus le Grand les libéra. Une large part de cette diaspora
resta dans la région alors qu'ils étaient libres de partir et de retourner à
Jérusalem, et ils s'installèrent un peu partout dans l'empire perse pour plus
de deux millénaires.
L'un des plus anciens documents connus qui nous renseigne
sur cette communauté est une lettre de commerce judéo-perse que Aurel Stein
découvrit en 1901 à Dandan-Uiliq, un carrefour du commerce sur la route de la
soie dans le Turkestan chinois : la lettre est écrite en persan (ou plutôt dans
un dialecte judéo-persan) mais avec des lettres hébraïques. Cette pratique fut
en usage en Iran, en Afghanistan et en Asie centrale pour plus de mille ans et
fut l'un des moyens en usage dans cette diaspora pour préserver son identité
juive et son patrimoine intellectuel.
Parmi les plus importants manuscrits médiévaux
judéo-persans, on remarque une version de 1319 du Torat Mosheh qui est la plus
ancienne version judéo-persane du Pentateuque. Cette traduction en judéo-persan
de la Torah fut également le premier texte en cette langue a être imprimé, dans
une bible polyglotte publiée à Constantinople en 1546.
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Le colophon de la Torah Mosheh, Iran, 1319 (British Library)
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| Torat Adonai, Eliezer ben Gershom Soncino, Constantinople, 1546. Début de la Genèse avec deux gravures sur bois de la lettre hébraïque "bet". |
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| Détail du Torat Adonai de Eliezer ben Gershom Soncino. La colonne de droite contient la traduction en judéo-persan écrite avec des caractères hébraïques. |
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| Page de titre ornementée du Torat Adonai, Eliezer ben Gershom Soncino, Constantinople, 1546 (British Library) |
Mais nous sommes loin des magnifiques manuscrits enluminés
des communautés juives de l'Europe médiévale : ces premiers manuscrits
médiévaux judéo-persans ne comportent que du texte et il faudra attendre l'ère
safavide pour trouver des illustrations dans l’un de ces manuscrits —
l'aniconisme est de fait une caractéristique majeure des manuscrits des
communautés juives d'Orient. Un livre récemment publié, Skies of parchment, seas of ink, édité par Marc Michael Epstein aux
Presses Universitaires de Princeton rassemble une fabuleuse collection de
manuscrits et je voudrais rendre compte ici du chapitre qui concerne les arts
et la littérature des communautés judéo-persanes entre le XVe et les
XIXe siècles.
Bien entendu, on peut penser à ces magnifiques manuscrits
arméniens à la cathédrale de Vank à Ispahan, ces dizaines de manuscrits
enluminés avec de superbes lettrines et des peintures couvrant des pages
entières — oubliez-les : nous ne connaissons que douze ou treize manuscrits
illustrés judéo-persans dont aucun n'est antérieur au XVIIe siècle.
Douze ou treize manuscrits — cent soixante-dix-neuf
miniatures.
Bien sûr, la communauté arménienne à Ispahan était alors une
toute jeune communauté, tout juste arrivée d'Arménie après que Shah Abbas eut
ravagé le pays, c'était une communauté riche de traditions. Au contraire, la
communauté juive était avant tout une ancienne communauté persane et son
contact prolongé avec cette culture avait produit une acculturation profonde,
en particulier pour la littérature et les arts appliqués. De plus, la période
de production de ces manuscrits
judéo-persans coïncide avec une période très difficile de persécutions
antisémites, une période où les communautés juives de Perse n'étaient pas très
à l'aise financièrement : un grand nombre de manifestations contre les juifs se
déroulèrent durant le règne de Shah Abbas II. Néanmoins, un certains nombre de
musulmans, et parmi eux des personnalités de haut rang, s'opposèrent aux ordres
visant à forcer les juifs à la conversion (d'ailleurs, à la même époque, les
Sufis et d'autres minorités religieuses comme les Arméniens ou les Zoroastriens
furent également les victimes de l'intolérance religieuse). De toute manière,
la plus grand part des communautés juive de Perse semblent avoir cédé et s'être
converties en 1656 et les juifs devinrent ainsi anusim (“converts forcés”) pour environ sept ans, se pliant
extérieurement au culte de l'islam chiite tout en pratiquant secrètement le
judaïsme — un comportement qui, ironiquement, n'est pas sans rappeler la taqiya (dissimulation) pratiquée par les
chiites pendant des siècles (tous ces événements sont retracés dans le Ketab-e anusi de Babaʾi ben Lotf, un
juif témoin de ces conversions à Kashan).
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| Mordechai porté en triomphe par Haman, feuille de papier isolée, provenant peut-être d’un manuscrit du Ardashir-nameh. Perse, XIXe siècle. |
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Joshua à la conquête de Jéricho. Imrani, Fath-nameh, Perse, fin du XVIIe
siècle (British Library)
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| Joshua traverse le Jourdain avec l’Arche d’Alliance. Imrani, Fath-nameh, Perse, fin du XVIIe siècle (British Library). |
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Même si ces manuscrits sont remarquables, ils sont bien loin
de la perfection atteinte par la plupart des manuscrits persans à
peintures : ils ne peuvent se comparer aux miniatures réalisées dans les
ateliers royaux comme ceux ci-dessous et ils apparaissent plutôt comme de
modestes versions populaires et provinciales de thèmes classiques — des
montagnes et des nuages, des cavaliers, des anges aux ailes dressées. Sur ce
modèle, les Juifs de Perse commencèrent à commander des manuscrits qui
raconteraient leurs histoires, avec leurs héros, dans un style qui reflète le
style et la manière des manuscrits de cour safavides.

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| Niżāmī, Maḫzan al-asrār, 1538 (BnF). |
La communauté judéo-persane n’avait jamais été très
productive en matière de pensée ou de discussion de la loi, se pliant aux
traditions édictées par les rabbins du haut Moyen Âge. Aussi ces manuscrits à
peinture illustrent plutôt des translittérations en hébreu de romans persans
n’évoquant que de loin les traditions bibliques — c’est le cas du Yusuf et Zulayḵā (Joseph et la femme de
Putiphar). D’autres ne sont même que de simples feuillets de poésie. La plupart
sont des œuvres profanes, souvent de simples translittérations de récits
épiques appartenant aux communautés persanes et remodelées à leur guise par des
auteurs juifs qui conservaient néanmoins les épisodes les plus populaires. Le
meilleur exemple en est donné par les manuscrits illustrant l’œuvre du poète juif
de Shiraz Shahin (XIVe siècle), le Musa-nameh (histoire de Moïse), qui imitaient la tradition
iconographique associée au Shah-nameh
de Ferdowsi. Ces manuscrits reliaient ainsi Moïse au panthéon des héros persans
et le texte comme les illustrations le montrent triomphant d’épreuves telles
qu’un combat contre un lion, puis contre un loup et ensuite contre un dragon,
épreuves qui le destinaient à se montrer digne de la rencontre avec le Buisson
ardent.
Il semble évident que ces manuscrits furent composés et
illustrés pour les membres les plus éminents de communautés juives assez
larges, comme celles d’Ispahan ou de Kashan. En revanche, il n’est même pas
possible de prouver que ces illustrations furent réalisées par des Juifs, les
manuscrits n’étant pas signés. Il ne semble pas pour autant qu’il y ait eu une
quelconque prohibition sur cette activité mais néanmoins, certains des peintres
pourraient être plutôt musulmans comme le suggère la représentation de Moïse, le
visage systématiquement couvert d’un voile et entouré d’une large flamme, sur
la version du Musa-nameh copiée à
Tabriz en 1686 (sur le voile de Moïse, une inscription en écriture persane
indique « Son Excellence Moïse » — janab-e hazrat-e Musa).
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| La traversée de la mer Rouge, Musa-nameh |
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| Le châtiment de Kora, Musa-nameh |
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| Séphora circoncit Eliezer, Musa-nameh |
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Moïse et l’ange de la mort, Musa-nameh
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Mais il est possible qu’un artiste juif, voulant être en
mesure de montrer son travail à des musulmans, se soit plié à des modèles
iconographiques qui respectent les sensibilités musulmanes. En fait, quelques
discordances entre certaines miniatures et le texte qu’elles étaient censées
illustrer semblent indiquer que les peintres, qu’ils soient juifs ou musulmans,
étaient incapables pour leur part de lire les textes judéo-persans et devaient
s’en remettre à leur commanditaire. Enfin, si les peintres étaient musulmans,
ce serait un exemple de coopération entre les communautés : imaginons, les
Juifs écrivent le textes et les musulmans peignent, chacun suivant les
instructions de leur mécène.
Certains de ces manuscrits sont assez polémiques car ils
tendent à comparer les héros juifs aux personnages sacrés de l’islam — et à
exalter les premiers. L’islam, en intégrant des parts de la tradition juive
dans le Coran, avait intégré ces personnages à sa propre tradition. De ce fait,
la représentation de Moïse avec les attribut de Muhammad n’était pas sans
danger — si toutefois les musulmans avaient été en mesure de lire le texte
judéo-persan. La glorification récurrente des héros juifs leur renvoyait sans
doute l’image de puissance qui leur était nécessaire en ces temps de
persécutions. Nous pouvons y voir la représentation nostalgique de temps
meilleurs, un appel à la mansuétude du Shah afin qu’il fasse revivre les
époques de tolérance passées, un soutien aux communautés juives contraintes à
la conversion et le souhait naturel qu’à nouveau les Juifs en arme, « fils
de Jacob », prennent leur revanche sur les « maudits descendants d’Haman ».
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| L’ange Gabriel (sur la page de droite) apparaît à Joseph, Yusuf, pour lui donner la permission d’épouser Zulaikha. Mashad, 1853. |
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| Nur ad-Din ‘Abd ar-Rahman al-Jami, Haft Awrang [sept Trônes], un manuscrit Judéo-Persan copié en 1853 par Eliyahu ben Nissan ben Eliyah, de Mashad : Yusuf fuit Zulaikha. |
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| Yusuf en prison |
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| Yusuf et Zulaikha se marrient |
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| Yusuk et Zulaikha |
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Josuah se bat contre le géant Sihon, Musa-nameh, Perse, fin du XIXe siècle.
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