Le squelette de l'homme comporte une côte de moins au côté gauche, la dernière ayant servi à créer Ève, bien entendu. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
A cet arbre sont reliés de petits flacons qui forment un nuancier d'urines : de
quoi aider un praticien à déterminer la situation de son patient. La
répartition des couleurs entre le presque noir, le vert, le rouge, le
jaune et le blanc renvoie à la théorie galéniste des quatre humeurs
(bile jaune, bile noire ou mélancolie, sang, lymphe) liées aux quatre
éléments (feu, air, terre, eau) et aux quatre complexions (froid, chaud, sec,
humide). Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome
Library, Londres. |
L'homme et son réseau de veines. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
Le même homme avec le réseau de ses veines plus une série de diagrammes : le texte cite du traité des incisions du Pseudo-Galien. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
Plus inattendue, la planche ci-dessous présente une femme au ventre ouvert, figure tracée de façon schématique, sans naturalisme : un ventre habité de mots et d'une sorte de flacon renversé montrant l'utérus. Au-dessus d'elle, quatre de ces "ampoules" habitées cette fois d'enfançons — déjà grands et éveillés, parents de ces figures de Jésus enfant, petit adulte sur les genoux de la Vierge.
La "femme malade" porte notés sur son corps les noms des différentes maladies qui peuvent la frapper comme le cancer du sein ou le défaut de lactation, la podagre et les hémorroïdes, les spasmes, la sciatique, les fistules, les calculs rénaux ou le diabète. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
La femme du manuscrit d'Anatomie du Pseudo-Galien, Ms 290, mi-XVe, Wellcome Library, Londres. Ici le fœtus semble se cacher le visage. Debout malgré ses jambes ployées, il paraît prêt à sortir par l'ouverture vaginale. De la sorte, la femme sur ce manuscrit semble davantage en train d'accoucher. Par contre, les maladies et malaises inscrits sur son corps sont exactement les mêmes que sur les autres "femmes malades" de divers manuscrits. |
Georgius de Ferrariis et Petrus de Tossignano, Fasciculus medicinae, Venise, 1491 (Munich, Bayerische Staat Bibliothek). Directement inspirée de la précédente, cette gravure montre le fœtus replié sur lui-même mais toutefois prêt à naître. Et toujours les mêmes inscriptions de maladies sur le corps. |
Cette figure nouvelle et spécifique de la femme malade que nous avons présentée plus haut, principalement une femme en couche, semble apparaître au tournant du XVe siècle, au sein de la communauté médicale allemande. Avec toutes ses annotations, elle forme là encore un aide-mémoire pour le praticien avec la liste des affections possibles — et des remèdes éventuels jusqu'à des décoctions de plantes pour aider aux douleurs menstruelles. Toutes les maladies signalées ne sont pas forcément l'apanage des femmes : on y trouve la goutte et le diabète par exemple. La manière très grossière dont sont rendus les viscères contraste avec le réalisme du dessin du visage, des mains ou des pieds : entre ce qu'on dessine de visu et ce qu'on dessine à partir de ce qu'on comprend et imagine de l'intérieur du corps et de son fonctionnement — à moins que le dessinateur ait cherché à réconcilié ce qu'il savait par la dissection de la forme et de la place des organes avec ce qu'il avait appris de Galien.
Femme enceinte. Manuscrit BSB Cgm 597, Bayern Schwaben, um 1485. Munich, Bayerische Staat Bibliothek. Ici, on voit encore que l'utérus ne comporte pas de voie vers l'extérieur mais débouche directement dans l'abdomen. |
Aux côtés de l'homme musclé (?) et de nouvelles représentations de fœtus peuplant des utérus comme des ampoules, on identifie en hautle système urinaire avec les reins et en bas les organes reproductifs de la femme avec utérus (ouvert vers le haut !) et vessie, ovaires peut-être — et vide vaginal. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
Fœtus (en particulier de jumeaux), manuscrit BSB Cgm 597, Bayern Schwaben, um 1485. Munich, Bayerische Staat Bibliothek |
Fœtus, manuscrit BSB Cgm 597, Bayern Schwaben, um 1485. Munich, Bayerische Staat Bibliothek |
Ce manuscrit comporte la première représentation d'une césarienne, en haut à gauche, puis en bas qui semble montrer que la femme peut y survivre. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
L'homme blessé de l'Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |
L'homme blessé du manuscrit d'Anatomie du Pseudo-Galien, Ms 290, mi-XVe, Wellcome Library, Londres. |
Loin des lieux communs qui montrent le Moyen Âge comme une période obscure qui se serait éloignée des sommes de connaissances antiques, ces manuscrits montrent combien cette période du XIVe au XVe est riche d'innovations médicales et apparaît, avant la Renaissance proprement dite, comme le maillon entre le mode traditionnel de soins hérité du monde antique, la redécouverte de Galien au XIe siècle via les sources arabes (puis au XVe en revenant au texte grec) et les développements qui devaient suivre au XVIe siècle avec les débuts de la recherche expérimentale sur le corps humain même.
Ces images, l'homme blessé, la femme malade, sont à la fois des tables de connaissances qui seront développées plus loin dans le texte et des figures heuristiques suffisamment frappantes pour constituer en elles-mêmes une somme de savoirs tant pour les praticiens que pour leurs patients.
La maladie est ici inscrite dans un ensemble plus large de connaissances en rapport avec la place de l'Homme dans le monde : à côté de ces larges images qui sont comme des cartes du corps malade sont intégrées ces autres "cartes" du corps que sont les schémas anatomiques (réseau sanguin ou nerveux, squelette, système urinaire…), les schémas de points de saignée ou, très différents bien sûr à nos yeux, ces corps inscrits dans le zodiaque.
L'homme est toujours le même, presque nu, dépourvu de cheveux — sans âge, occupation ou statut social. Il n'a plus ni veines ni muscles. Il n'est plus que faisceau de relations entre son corps et le ciel. Apocalypse Wellcome (Ms 49), Allemagne du sud. Wellcome Library, Londres. |