Éventail aux assignats (BnF) |
Ancien couvent franciscain, le couvent des Cordeliers accueillit entre 1789 et 1791 dans la grande salle du réfectoire les séances de la société des droits de l’homme et du citoyen, ou club des Cordeliers. Expulsé des lieux en 1791, le club des Cordeliers se réunit alors dans un bâtiment proche, rue Dauphine.
Le corps de Marat sera exposé dans le réfectoire après son assassinat par Charlotte Corday le 13 juillet 1793, au milieu des livres de la bibliothèque conventuelle, et le peuple de Paris défilera dans la salle pour lui rendre hommage.
Gravure colorée dénonçant le journal anticonstitutionnel Le Sens commun (vers 1791). |
Citons Chateaubriand de nouveau :
Le club des Cordeliers était établi dans ce monastère, dont une amende en réparation d'un meurtre avait servi à bâtir l'église sous saint Louis, en 1259 [Elle fut brûlée en 1850.] ; elle devint, en 1590, le repaire des plus fameux ligueurs.
Il y a des lieux qui semblent être le laboratoire des factions : "Avis fut donné, dit L'Estoile (12 juillet 1593), au duc de Mayenne, de deux cents Cordeliers, arrivés à Paris, se fournissant d'armes et s'entendant avec les Seize, lesquels dans les Cordeliers de Paris tenaient tous les jours conseil... Ce jour, les Seize, assemblés aux Cordeliers, se déchargèrent de leurs armes." Les ligueurs fanatiques avaient donc cédé à nos révolutionnaires philosophes le monastère des Cordeliers, comme une morgue.
Les tableaux, les images sculptées ou peintes, les
voiles, les rideaux du couvent avaient été arrachés ; la basilique,
écorchée, ne présentait plus aux yeux que ses ossements et ses arêtes.
Au chevet de l'église, où le vent et la pluie entraient par les rosaces
sans vitraux, des établis de menuisier servaient de bureau au président,
quand la séance se tenait dans l'église.
La querelle des chats et des rats de cave, gravure colorée, vers 1790 (BnF). |
Les clubs furent tout d'abord des espaces de liberté d'expression. Cette gravure de 1790 reste toutefois énigmatique : elle montre le club comme une scène de théâtre — peut-être pour les scènes qui y étaient jouées. Les acteurs y représentent une parodie de la vie de cour et du régime depuis la révolution, en insistant sur la duplicité du roi (d'où la référence au texte des Actes des Apôtres, 23, et à l'hypocrisie du Sanhédrin). Le roi en effet est présenté comme un danseur de corde, assisté par un prêtre qui tient la Constitution sans dessus-dessous. Autour de lui, sur la scène, des aristocrates masqués. Une femme élégante, peut-être Théroigne de Méricourt, semble diriger l'orchestre. Le public attend la conclusion de la farce : la chute du roi sans doute. |
Sur ces établis étaient
déposés des bonnets rouges, dont chaque orateur se coiffait avant de
monter à la tribune. Cette tribune consistait en quatre poutrelles
arc−boutées, et traversées d'une planche dans leur X, comme un échafaud.
Derrière le président, avec une statue de la Liberté, on voyait de
prétendus instruments de l'ancienne justice, instruments supplées par un
seul, la machine à sang, comme les mécaniques compliquées sont remplacées par le bélier hydraulique.
Les orateurs, unis pour détruire, ne s'entendaient ni sur les chefs à choisir, ni sur les moyens à employer ; ils se traitaient de gueux, de gitons, de voleurs, de massacreurs, à la cacophonie des sifflets et des hurlements de leurs différents groupes de diables. Les métaphores étaient prises du matériel des meurtres, empruntées des objets les plus sales de tous les genres de voirie et de fumier, ou tirées des lieux consacrés aux prostitutions des hommes et des femmes. Les gestes rendaient les images sensibles; tout était appelé par son nom avec le cynisme des chiens, dans une pompe obscène et impie de jurements et de blasphèmes.
Détruire et produire, mort et génération, on ne démêlait que cela à travers l'argot sauvage dont les oreilles étaient assourdies. Les harangueurs, à la voix grêle ou tonnante, avaient d'autres interrupteurs que leurs opposants : les petites chouettes noires du cloître sans moines et du clocher sans cloches s'éjouissaient aux fenêtres brisées, en espoir du butin ; elles interrompaient les discours. On les rappelait d'abord à l'ordre par le tintamarre de l'impuissante sonnette ; mais ne cessant point leur criaillement, on leur tirait des coups de fusil pour leur faire faire silence ; elles tombaient palpitantes, blessées et fatidiques, au milieu du Pandémonium.
Les orateurs, unis pour détruire, ne s'entendaient ni sur les chefs à choisir, ni sur les moyens à employer ; ils se traitaient de gueux, de gitons, de voleurs, de massacreurs, à la cacophonie des sifflets et des hurlements de leurs différents groupes de diables. Les métaphores étaient prises du matériel des meurtres, empruntées des objets les plus sales de tous les genres de voirie et de fumier, ou tirées des lieux consacrés aux prostitutions des hommes et des femmes. Les gestes rendaient les images sensibles; tout était appelé par son nom avec le cynisme des chiens, dans une pompe obscène et impie de jurements et de blasphèmes.
Détruire et produire, mort et génération, on ne démêlait que cela à travers l'argot sauvage dont les oreilles étaient assourdies. Les harangueurs, à la voix grêle ou tonnante, avaient d'autres interrupteurs que leurs opposants : les petites chouettes noires du cloître sans moines et du clocher sans cloches s'éjouissaient aux fenêtres brisées, en espoir du butin ; elles interrompaient les discours. On les rappelait d'abord à l'ordre par le tintamarre de l'impuissante sonnette ; mais ne cessant point leur criaillement, on leur tirait des coups de fusil pour leur faire faire silence ; elles tombaient palpitantes, blessées et fatidiques, au milieu du Pandémonium.
Des charpentes abattues, des bancs boiteux des stalles démantibulées, des tronçons de saints roulés et poussés contre les murs, servaient de gradins aux spectateurs crottés, poudreux, soûls, suants, en carmagnole percée, la pique sur l'épaule ou les bras nus croisés. Les plus difformes de la bande obtenaient de préférence la parole. Les infirmités de l'âme et du corps ont joué un rôle dans nos troubles : l'amour−propre en souffrance a fait de grands révolutionnaires.
D'après ces préséances de hideur, passait successivement, mêlée aux fantômes des Seize, une série de têtes de gorgones. L'ancien médecin des gardes−du−corps du comte d'Artois, l'embryon suisse Marat, les pieds nus dans des sabots ou des souliers ferrés, pérorait le premier en vertu de ses incontestables droits. Nanti de l'office de fou à la cour du peuple, il s'écriait, avec une physionomie plate et ce demi−sourire d'une banalité de politesse que l'ancienne éducation mettait sur toutes les faces : "Peuple, il te faut couper deux cent soixante−dix mille têtes !" A ce Caligula de carrefour succédait le cordonnier athée, Chaumette. Celui−ci était suivi du procureur−général de la lanterne, Camille Desmoulins, Cicéron bègue, conseiller public de meurtres, épuisé de débauches solitaire, léger républicain à calembours et à bons mots, diseur de gaudrioles de cimetière, lequel déclara qu'aux massacres de septembre, tout s'était passé avec ordre. Il consentait à devenir Spartiate, pourvu qu'on laissât la façon du brouet noir au restaurateur Méot. Fouché, accouru de Juilly et de Nantes, étudiait le désastre sous ces docteurs : dans le cercle des bêtes féroces attentives au bas de la chaire, il avait l'air d'une hyène habillée. Il haleinait les futures effluves du sang ; il humait déjà l'encens, des processions à ânes et à bourreaux.
Dernière séance au Club des Cordeliers, en avril 1794. |
Pierre-Antoine de Machy, "Démolition de l'église des Cordeliers", 1795 (BnF). |
Par la suite, ce qui reste des Cordeliers fut affecté à des activités plus pacifiques : atelier d'artiste au XIXe siècle, ils appartinrent ensuite à l'université de Paris. Après la révolution en effet, l’État a décidé d’organiser les études
de médecine par la création d'une école de médecine. Cette destination du site est décidée vers 1795. L’église est
d’abord détruite puis le reste des bâtiments vers 1802. Seuls subsistent
le réfectoire et le cloître.
Six pavillons sont construits pour
accueillir les « exercices cadavériques ».
La Mairie de Paris, devenue
propriétaire des lieux, a récemment souhaité faire du Réfectoire de
l’ancien Couvent des Cordeliers un espace au service des missions universitaires de diffusion de la
culture et de l’information scientifique.
L'atelier de Regnault, placé dans la partie supérieure de l'ancienne église des Cordeliers. |