Tapis polonais, Perse (Ispahan ou Kashan), époque safavide (début
xviie
siècle), New York, Metropolitan Museum
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Sa fille était une amie d’amis. Elle nous avait conduits
jusqu’au pied de l’immeuble, une tour d’inspiration parisienne au toit
d’ardoise et aux volets blancs, précédée d’un jardin vert émeraude fermé de
grilles dignes de Versailles. Ces grilles s'étaient ouvertes automatiquement devant nous, Sepideh avait éteint la radio — jusque là, nous avions parlé de musique, de ces groupes partis chanter à l'étranger, des concerts clandestins, de l'association d'instruments traditionnels et d'instruments modernes, du duduk arménien, de Bach, de violoncelle, des concerts de musique occidentale à Téhéran. Là-haut, dans un salon immense aux stores
baissés, aux rideaux tirés, plongé dans la pénombre, nous avons échangé des
paroles banales avec la jeune femme et sa mère, chacune de nous assise à des mètres
l’une de l’autre — avant de dîner avec
le maître de maison et d’échanger des propos tout aussi banals, à une vaste
table, chacun de nous assis à des mètres les uns des autres.
Aucun objet personnel, aucun
signe de vie dans la pièce. Des meubles clos sur eux-mêmes. Le son lointain
d’une chaîne qatari dans le lointain — l’héritier de la maison de commerce,
professeur de ski à ses heures perdues, attend le retour de la neige.
Plus tard, alors que je m’apprêtais
à partir, le négociant me fit admirer sa collection de tapis — rien que des
tapis d’Ispahan du modèle plus fin, le plus soyeux, le plus lisse. Le plus fin, vraiment. Des dizaines tous
identiques, blanc et crème.
Il insista sur la finesse, le
nombre et la qualité des nœuds, leur régularité — rien à voir, me dit-il en
retroussant ses lèvres avec morgue, rien à voir avec les tapis de Tabriz.
Là-bas, ils travaillent avec un crochet métallique — non, ces tapis-ci sont
entièrement noués à la main, tout le travail est fait avec les doigts — mais il
faut des doigts très fins, des doigts les plus fins possible pour qu’il n’y ait
pas d’irrégularité. Il s’arrête et sa main esquisse un geste : il dessine
en l’air une toute petite main puis flatte une petite tête invisible, assise
très bas en dessous de nous.
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