Sépultures, D. F. Barry, vers 1880. |
Quand D. F. Barry photographie ces sépultures, il photographie un arbre. Et tout ce qui va avec l'arbre et qui n'est ni feuilles ni écorce ni tronc ni sève.
De toute façon, il n'y a pas de feuilles sur cet arbre.
Que des corps.
Hairy Chin, membre le plus âgé de la tribu Hunkpapa, photographié par D. F. Barry, 1889. |
Encore deux ans et, après la bataille de Wounded Knee, on pourra croire le monde indien disparu — ici, on sent la fin approcher.
David F. Barry, né en 1854, a d'abord été photographe itinérant. Il a été l'apprenti d'Orlando S. Goff, un photographe qui était arrivé dans l'Ouest après la Guerre de Sécession avec le Northern Pacific Railway et qui se déplaçait ensuite de fort en fort.
Il a ouvert son propre studio en 1881 à Bismarck peu après la bataille de Little Big Horn. Lorsque les Sioux Lakotas "hostiles" rentrèrent de leur exil au Canada, c'est lui qui tira leur portrait et les commercialisa. Parallèlement, il travailla à l'Agence de Standing Rock, l'une des premières réserves indiennes où se regroupèrent les populations après la fin de la chasse au bison et lors de la mise en place des politiques de sédentarisation des Indiens. Pour cela, il utilise son studio mobile et se rend lui aussi d'un fort à l'autre, n'hésitant pas d'ailleurs à commercialiser les photos de Goff comme étant les siennes.
Ashishishe, dit Curley (1859 ? - 1923), Indien Crow photographié par D. F. Barry en 1878. |
Hormis sa veste de coupe européenne, tout sur lui appartient à sa culture : ses cheveux tressés de fourrure, ses colliers et bracelets, la multitude de ses bagues sur des doigts aux ongles longs et pointus, sa cravache cloutée, sa couverture rayée, ses mocassins peut-être — le bas de l'image reste flou.
Et le visage farouche du cavalier, le mélange de fierté et de colère, la peau tannée par le soleil sous laquelle jouent les veines tendues.
Membre de la tribu Crow, ennemi des Sioux Lakotas, il est l'un des six éclaireurs qui accompagnaient Custer lors de l'expédition de Little Bighorn. S'il assista à la défaite, il n'a pas combattu à Little Bighorn et c'est donc à tort que la presse le présenta comme le seul survivant de la "dernière résistance de Custer" — mais ce fut bien lui qui transmit la nouvelle de la mort de Custer aux autorités. Son témoignage reste cependant douteux : il ne connaissait que quelques mots d'anglais et ses réponses lui auraient été largement suggérées par les journalistes qui auraient ensuite réécrit à leur guise ce qu'il leur avait dit.
Avant de retrouver l'anonymat, il fut donc une figure célèbre, photographié sous plusieurs angles lors de la même séance de pose sans doute et son portrait fut largement diffusé (sans toujours respecter le copyright du photographe).
Ces visages sont ceux de guerriers installés à l'Agence de Standing Rock à la suite de Sitting Bull, des guerriers dont l'administration fédérale souhaitait faire des agriculteurs. Que ces tentatives menés sans beaucoup de sincérité de part et d'autre aient été vouées à l'échec, sans doute. Qu'elles aient été balayées apr le mouvement de la "Danse des esprits" puis par la reprise de la guerre, c'est évident.
Pour nous, il s'agit de lire des images.
Barry les a photographiés dans son studio mobile : le décor de toile peinte, les fausses boiseries, la lumière latérale. Nous sommes au moment où les missions chrétiennes se concentrent sur la conversion des Indiens, où l'agriculture, la sédentarisation, le vêtement occidental vont apporter la civilisation à ces populations.
Rain-in-the-face et sa femme Sati, photographie de D.F. Barry, vers 1885. Ici, c'est Rain-in-the-face qui est vêtu à l'occidentale. |
Dix ans après Barry, Clarence G. Morledge (1865 - 1948) va dépasser cette mise en scène de studio.
C. G. Morledge utilise les nouvelles caméras Kodak de Georges Eastman qui lui permettent de se rendre sur le terrain et de réaliser des photos de reportage.
Sans doute ne part-il pas seul et tous ces photographes se photographient mutuellement, tout à leur surprise de se trouver là, en terre indienne.
Ce n'est pas seulement le photographe qui va se retrouver au milieu de la photographie, mais ce sont aussi les images — des images en abyme dans l'image, photographies épinglées sous les chromos d'un Christ souffrant. Le photographe qui se regarde travailler se fait voyeur dans la chambre des chefs défaits : la chambre du chef des Oglalas Red Cloud avec ses drapeaux américains, celle du chef American Horse avec son poêle de fonte et tous ces petits portraits alignés sur le mur à la hauteur des vêtements.
Il n'y a plus de guerres indiennes pense Morledge, et il va demander à ces guerriers désarmés de rejouer le temps d'une ou deux poses les gestes du combat, le temps pour les enfants à l'arrière-plan de se moquer, de se sauver, de courir, de créer du flou, de l'inachevé dans la photo trop lisse.
A Pine Ridge dans le Dakota du Sud, Morledge aurait tenté de photographier le mouvement millénariste de la "Danse des Esprits" — de photographier les guerriers désarmés dansant "pour de vrai" — mais il se pourrait que sa caméra ait été détruite par les participants — on connait très peu d'images de cet épisode de l'histoire indienne dont l'aboutissement est la bataille de Wounded Knee.
Cette photo de James E. Meddaugh, un photographe du Nebraska, prise au village de No Water au nord de Pine Ridge en 1890, peu de temps avant le massacre, est à ce titre exceptionnelle. On aperçoit les tipis à l'arrière-plan. Devant nous, des spectateurs attentistes, assis par terre. Entre eux une ligne de corps en mouvement, main dans la main, en ce qui dut être un immense cercle.
Nous sommes loin des studios.
Loin des chambres dans lesquelles on entre à la dérobée.
Loin des corps qu'on habille et installe dans les meubles.
A distance respectueuse.
Ghost Dancers, J. E. Meddaugh, 1890 (Yale University Library) |
Photos : Denver Public Library (sauf la dernière).
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