vendredi 7 février 2014

Dans la clôture du palais, à Topkapı


De ce qui se jouait dans le palais du Harem, à Topkapı, des intrigues et des passions, tout a été dit, tout a été écrit des siècles durant. Qu'il nous reste à noter, devant l'immense quadrillage de carrelage bleu qui y couvre chaque pan de mur, devant le quadrillage de cours et de chambres, devant la grille des ouvertures, combien le palais évoque un immense jeu d'échec où chacun, chacune, poussait ses pions vers le pouvoir — ou le néant.





Souvent, quand je vois jouer aux échecs, 
Mon œil suit un pion
Qui se fraie peu à peu un chemin
Jusqu'à la huitième ligne.
Il met tant d'ardeur à s'y rendre
Qu'on ne doute pas
Qu'il y trouvera sa récompense et ses joies.
Que de tourments sur sa route :
Les fous se visent en diagonale de leurs lances,
Les tours le menacent sur leurs larges colonnes, 
Les rapides cavaliers dans leurs carrés
L'assiègent, cherchant par ruse à l'isoler
Et ici ou là, dépêché du camp adverse, 
Un pion l'attaque sur le côté.

Mais il échappe à tous les dangers,
Il gagne la huitième ligne.

Comme il y arrive triomphalement,
À cette terrible ligne, la dernière !
Comme il atteint volontiers sa propre mort !
Car il ne s'est donné tout ce mal 
Que pour venir y mourir.
C'est pour la reine qui nous sauvera,
Pour la relever d'entre les morts
Qu'il est venu se jeter dans l'Hadès des échecs.

Constantin Cavafy, Poèmes inédits 
(traduction française de Socrate Zervos et Patricia Portier.)






















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire