vendredi 18 mars 2016

Le Shah et les photographes (1)

Mozzafar Shah Qadjar et deux de ses amis sous le portrait peint de son père Nasseredin Shah Qadjar, à l'ambassade d'Iran à Saint Pétersbourg, vers 1890.
La plus ancienne photo qui nous soit parvenue de Perse est un daguerréotype conservé au Musée d'Orsay à Paris. L'image, datée au dos de 1848, serait l'œuvre du Français Jules Richard, le premier photographe de passage à Téhéran et figure au catalogue sous le titre de "portrait d'un dignitaire Persan (?)".
En fait, du matériel photographique pour prises de vue daguerréotypiques était déjà parvenu en 1842 en Perse auprès du Shah Mohamed Shah Qadjar, sous la protection d'un jeune diplomate russe, le tout dans un chariot bâché, mais nul n'était parvenu à en tirer quoi que ce soit. La technique du daguerréotype était complexe, l'utilisation du mercure pour révéler les images était dangereuse — et le matériel était resté dans les cartons…
Il est possible que ce soit ce même Jules Richard (1816-1891) qui ait finalement tiré parti du mode d'emploi, initié le Shah à la photographie et voyagé jusqu'à Tabriz en 1844 pour photographier l'héritier du trône Nassereddin Shah encore enfant : peut-être fut-il ainsi à l'origine de la passion de ce dernier pour la photographie. Plus tard, c'est un autre Français, Henri Coulibeaut de Bloqueville qui à la fin des années 1850 va photographier la Cour du jeune souverain qadjar, au pouvoir de 1848 à sa mort en 1896.

Le Shah lui-même va étudier les techniques photographiques à partir de 1858 et installer une chambre noire dans son palais : l'Akkashkhaneh-ye morabake-ye homayuni (le Glorieux atelier de photographie royal). La fonction de photographe du palais s'ajouta alors à la longue liste de fonctions officielles — le premier fut Aqa Reza Iqbal al-Saltane (1843-1889) qui avait étudié la photographie avec le Shah et voyagea, photographia, expérimenta de concert avec lui (notamment des stéréographes, annotés au dos par l'un ou l'autre des deux hommes comme celui ci-dessous) et signés khanezad reza — du Saint des Saints, Reza — celui qui est entré au cœur du palais.

Un journal gouvernemental lithographié fut créé pour pouvoir y publier les photos officielles. Quelques eunuques obtinrent la charge d'imprimer les photos que le Shah prenait de ses nombreuses épouses.
La première université d'Iran, fondée en 1852, enseignera la photographie aux côtés d'autres sciences et techniques après 1862.
Il va sans dire que ce hobby royal nous offre une vision "de l'intérieur" du monde du palais et des harems, vision assez éloignée des fantasmes orientalistes contemporains (que des photographes extérieurs à la Cour comme Sevruguin mettront en scène dans leurs studios).
Commençons par cette photo prise par le photographe irano-arménien Antoin Sevrugin, La mère du Shah Nasseredin, Malek Jahan Khanom, vers 1880. La reine mère semble austère, à dire le moins, et tout autant sur la photo suivante, non signée.
Certaines images étaient sans doute destinées à être largement diffusées mais la plupart étaient conservées dans des albums de famille lourdement reliés et montrent Nasseredin Shah et ses successeurs, les derniers qadjars, dans leur intimité.
Nasserdin Shah fête ses 65 ans
Le Shah et sa cour au palais de Sahebqaraniyeh au nord de Téhéran
Anis al-Dawla, l'une des épouses du Shah, avec sa suite, vers 1870-1880
 Nasseredin Shah apparaît souvent en personnage mélancolique comme sur ce portrait anonyme — un autoportrait ?
Son héritier, Mozzafar Shah Qadjar, adolescent aux yeux cernés, jeune homme morose, souverain occidentalisé ensuite, noyant son spleen à Marienbad ou à Paris, continua à pratiquer la photographie après la mort de son père et pose, vieillard rongé d'ennui, dans une chambre d'hôtel aux côtés de son matériel favori.
Nasseredin Shah avec son fils Mozzafar, âgé de quatorze ans (à gauche). A droite, Mozzafar vers 1870.
Mozzafar Shah, le fils et successeur de Narredin Shah, ici photographié en Autriche lors de l'un de ses voyages en Europe

Tous petits, les enfants aussi semblent s'ennuyer — peut-être est-ce juste un effet de la longueur de pose. Mais le petit , entouré des dépouilles de mouflons tués par son père
L'un des petits-fils de Mozzafar Shah, fils de Ma'sud Mirza Zell al-Soltan, vers 1900.
Mais ces photographies royales ne montrent pas seulement la famille et les amis du Shah. C'est la vie du palais, et en marge des déplacements de Nasseredin Shah, c'est aussi la vie du pays.
Antoin Sevrugin, Danseuses et musiciennes, vers 1880
Antoine Sevrugin, Musiciens
Antoin Sevrugin, Femmes dans une maison privée
Acrobates
Ce sont encore différentes vues de palais, images de cérémonies officielles, "reportages" sur divers services de l'État (l'armée, les postes, les premières voies ferrées), sur les monuments et sites archéologiques (Persépolis).
Et la religion ? Rien, ne semble-t-il.
A Hamadan, fin XIXe.
Assemblée dans la maison de Vazir Nezam pour le seyyed : l'anniversaire de la fille du Prophète
Antoin Sevrugin, La tente royale aux champs de course



La plupart des photos et informations présentées ici proviennent du catalogue de l'exposition The Eye of the Shah, Qadjar  Court Photography and the Persian Past, présentée à la New York University du 22 octobre 2015 au 17 janvier 2016. Le catalogue a été publié sous la direction de Jennifer Y. Chi pour l'Institute for the Study of the Ancient World.

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